Abécédaire
J • Jour libre
J'avais un jour libre et je décidai de retourner là-bas.
Pourquoi revenons-nous d’instinct vers ce qui est insaisissable ?
Est-ce la part d’ombre en nous qui demande toujours plus de lumière ?
Je remontai dans la barque.
Je l’écopai de l’eau de la dernière pluie qui stagnait.
Je défis le nœud qui la retenait à la rive.
C’est la nouvelle barque des herbes.
Dix heures du matin, immergés dans l’ombre de la montagne,
Nous ramons vers le cours de natation.
Nous glissons sans bruit sur les herbes, des fleurs vertes à longue tige.
J’ai le corps à moitié suspendu hors de la barque.
Je plonge mon visage et je vois sous les eaux.
Dans un courant nommé Ombre, ondoie une petite truite.
Si ma main se referme sur l’onde, elle est mienne.
Vérité est son nom.
Les choses sont bien plus graves qu’on ne le croit
Dans le sens où leur voix n’est pas aiguë, juste des cercles sur l’eau.
Il faut pouvoir les toucher pour les entendre.
Dans la lumière, père a jeté un anneau d’or.
Il descend, tournoie, descend encore.
Pour les carpes, dès lors il est un minuscule tunnel d’or.
Dans les eaux dormantes, si je plonge, est-ce que je saurai le retrouver ?
Dans les eaux d’or menthe, j’ai perdu mon chemin.
Apprivoise ce qui te fait peur. Ne t’éloigne pas à une grande distance.
Ne te raconte pas d’histoires.
Un bruissement dans les herbes.
Petite truite est tranquille mais elle scintille.
Presque toujours joyeuse.
Elle brille le jour et la nuit.
Sur la berge, une boulette de papier jaune citron.
Peut-être est-ce un poème, qui sait ?
A cet endroit, je plonge, c’est une intuition.
Sous les eaux d’infimes particules tourbillonnent.
Mon corps se glisse dans une très fine pelisse mouchetée
A la recherche de musiques silencieuses.
Je fends les eaux, les eaux se referment et me suivent.
Taches d’ombre et de lumière
Tout est lisse et tout glisse ici.
Tout est insaisissable, alors il ne faut rien saisir.
Un moucheron à la surface des eaux peut te perdre.
Ce que nous sommes en train de perdre pour toujours.
Nous l’aimons depuis un temps ancien.
Rayon vert fugitif.
Quand j’émerge, j’ai le soleil dans les yeux.
éli toussaint